Editions Eole – Epuisé.
Cerf, engoulevent, renard, chevreuil, cincle, sanglier…
autant d’hôtes secrets de nos forêts à la rencontre desquels
nous emmène « Instants fragiles », sur la pointe des pieds.
Récits passionnés et haïkus accompagnent les photographies
Lentement, la nuit se déchire. Des lueurs rosâtres envahissent le levant, éclipsant inexorablement les millions d’étoiles parmi lesquelles mon esprit mal éveillé vagabonde encore un peu. Des bancs de brume, tantôt lourde chape, tantôt soie légère, enserrent les jeunes arbres dans la plaine. Imperceptiblement, ils dévoilent, cachent ou soulignent tour à tour le moindre relief, transformant le paysage de minute en minute. Mon imagination s’y perd, mes yeux interrogent mes jumelles, voyant apparaître çà et là des ombres évoquant des dos de cervidés. Un vent léger colporte de douces odeurs forestières, mélange subtil de résine et de terre mouillée, tandis que face au soleil naissant, des centaines de toiles d’araignées allument des feux de rosée. Tout autour de moi, les troglodytes, merles, grives, pouillots et rouge gorges chantent déjà à tue-tête, alors qu’au loin, une chouette hulotte tente encore de retenir la lune. Ces trop rares belles matinées sont de véritables cadeaux, des moments de plénitude. Rien ne peut alors me faire regretter les bras de Morphée, tant la sensation est grande et merveilleuse, l’espace de quelques instants, d’être seul au monde et d’appartenir à cette forêt Doucement, la pénombre cède sa place au soleil rasant ; les rayons transpercent d’abord quelques arbres à l’horizon, puis éclaboussent enfin la plaine de couleurs aussi spectaculaires qu’éphémères. Plus tard, le vent se lève, la brume se dissipe, les possibles cervidés se muent en souches ou en buissons, les toiles d’araignées disparaissent comme par enchantement, la lumière devient plus dure, une tronçonneuse viole le concert matinal des oiseaux…La raison chasse les rêves, le charme est rompu, retour à la réalité. A 7h ce jour là, je m’apprête à quitter les lieux ; toujours pas l’ombre d’une biche dans la clairière qui semble vide. Vide ? Pas tout à fait : un sanglier passe à une centaine de mètres, fantomatique, le dos fumant. Fumant, fumant…mais tout compte fait, s’il fume, à cause de son poil mouillé par la rosée et réchauffé par l’astre du jour, un chevreuil ou un faon couché dans les herbes devrait se trahir de la même façon ! Je reprends de plus belle le « balayage » aux jumelles, jusqu’à trouver une petite fumerolle, isolée et parfaitement circonscrite, à 200 mètres en contrebas. J’ai hâte de vérifier et de mettre en pratique ma nouvelle théorie de repérage matinal des animaux : « le vent est bon, j’ai assez attendu, j’y vais ! » Et me voilà parti pour une approche longue et difficile, de ce qui était en définitive, une vieille souche pourrie séchant au soleil…
Instants fragiles – « La passion de la forêt, des cervidés et des oiseaux » (Vlan 14 août 2003)